La Résidence du Jardin botanique, dans l’est de Montréal, fermera ses portes en août prochain, a appris La Presse. Conséquence : 62 aînés, dont certains très vulnérables, devront être relogés dans d’autres établissements du territoire.

La fermeture de la résidence privée pour aînés (RPA) sera annoncée ce mercredi aux résidants et aux employés, nous a confirmé le propriétaire, Kevin Moïse Hazout, dans une déclaration écrite envoyée en réponse à nos questions.

« La décision de fermer la RPA repose essentiellement sur les difficultés majeures rencontrées au cours des deux dernières années pour recruter du personnel et accueillir de nouveaux résidants, le tout dans un contexte de hausse majeure des frais d’exploitation. Après avoir analysé en profondeur tous les scénarios, nous avons malheureusement dû nous résoudre à fermer la RPA. »

« D’ici là, l’ensemble des services seront intégralement maintenus », indique également M. Hazout.

Cette fermeture s’ajoute à plusieurs autres survenues au cours de la dernière année un peu partout au Québec. Selon une compilation de La Presse, au moins 77 RPA ont fermé leurs portes en 2023 dans la province, ce qui représente plus de 2700 places d’hébergement pour aînés en moins (voir autre texte).

La Résidence du Jardin botanique fermera donc le 17 août prochain, et ce, malgré une réglementation municipale qui interdit depuis 2022 la reconversion de RPA en immeubles locatifs. « Tout le processus se déroulera en conformité complète avec l’ensemble de la réglementation québécoise et municipale applicable », affirme toutefois M. Hazout.

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La Résidence du Jardin botanique fermera le 17 août prochain.

Or, les représentants du propriétaire n’ont contacté les autorités municipales qu’il y a deux jours, et une rencontre a eu lieu seulement mardi, précise l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie. « Aucune demande de modification n’y a été soumise », précise la porte-parole Judith Gratton-Gervais.

« Une communication a par la suite été envoyée au porte-parole du propriétaire, lui rappelant que l’arrondissement n’accepterait pas un projet qui viendrait réduire l’offre de résidences. Si un propriétaire entame une conversion sans permis, il s’expose à des poursuites judiciaires. » Des amendes de 2000 $ par jour pourraient aussi lui être imposées.

Tard en soirée mardi, M. Hazout nous a cependant fait parvenir un courriel du chef de la division de l’urbanisme à l’arrondissement, Félix Champagne-Picotte, qui précise que « le fait qu’un propriétaire décide de cesser ses opérations, peu importe l’usage, ne constitue pas une infraction à la réglementation en vigueur ».

Chose certaine, la Résidence du Jardin botanique accueille une nouvelle clientèle depuis plusieurs mois, selon nos sources. À une journaliste qui prétendait vouloir trouver une RPA pour sa mère âgée, le personnel sur place a répondu cette semaine que l’immeuble était en transformation. « Votre mère doit être autonome. On ne donne plus de services depuis juillet. C’est le CLSC qui donne des services maintenant », lui a-t-on fait savoir. La clientèle est désormais « mixte », a-t-on indiqué. « Il y a aussi des jeunes qui entrent. »

Au début de la semaine, les résidants n’étaient absolument pas au courant de la possibilité d’une reconversion. « Nous sommes encore une RPA, je n’ai aucune information sur des changements, dit Debra Steven, 76 ans, résidante de l’immeuble depuis 11 ans. Il y a maintenant d’autres types de clients dans l’immeuble, mais selon moi, c’est une bonne chose. » Non, il n’y a plus de services destinés aux aînés dans l’immeuble, « tout le monde a débarqué des services parce que c’était trop cher », et oui, une partie de la clientèle âgée a fait ses valises, constate Mme Steven. « Mais moi, je ne veux pas déménager. »

Qui est Kevin Moïse Hazout ?

Selon le Registre des résidences privées pour aînés du Québec, trois entreprises possèdent la Résidence du Jardin botanique : Investissements Kemy, Groupe Hazout et Investissements Gadex. Ces trois sociétés sont actionnaires d’Investissements 5930 Pie-IX inc., qui a acheté la Résidence du Jardin botanique en 2021 pour la somme de 17,5 millions, selon le Registre foncier du Québec. Kevin Moïse Hazout est président de toutes ces entreprises.

La Résidence du Jardin botanique peut accueillir 150 locataires, indique le Registre des résidences privées pour aînés du Québec. Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a déjà acheté jusqu’à 106 places dans cet établissement, dont 40 places de ressource intermédiaire, destinées à des aînés en perte d’autonomie assez avancée. Mais l’immeuble ne compte plus désormais que 62 aînés, indique M. Hazout.

Ce dernier est administrateur d’une soixantaine d’entreprises au Québec actives essentiellement dans le domaine de l’immobilier. Par le biais de ses sociétés, il est propriétaire de plusieurs adresses à Montréal, mais aussi à Québec et en Montérégie.

Son entreprise Immeuble 2380 Sainte-Catherine Est inc. possède par exemple l’ancienne résidence pour aînés Ste-Catherine dans l’arrondissement de Ville-Marie. L’établissement accueillait une centaine de personnes âgées en perte d’autonomie jusqu’à sa fermeture, en 2022. M. Hazout n’a toutefois acheté l’immeuble qu’en juillet 2023, selon le Registre foncier. L’immeuble, qui semble avoir été la proie des flammes, est aujourd’hui placardé.

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L’ancienne résidence pour aînés Ste-Catherine est aujourd’hui placardée.

Un propriétaire controversé

À l’été 2022, M. Hazout avait fait parler de lui en Montérégie après avoir acheté une dizaine d’immeubles à Cowansville et cinq immeubles de 24 logements à Granby. Julie Coderre, de l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de la Montérégie-Est, s’était intéressée aux transactions : elle avait dénoncé le fait que l’entreprise de M. Hazout offrait de l’argent à certains locataires plus vulnérables (parfois 3000 $) pour les inciter à partir.

« Certains locataires pensaient qu’ils n’avaient pas le choix de partir. D’autres pensaient pouvoir se reloger au même prix et trouvaient le 3000 $ alléchant. Mais avec la crise du logement, ce montant était vite épuisé », affirme Mme Coderre.

Marie-Claire Hébert, 69 ans, habite depuis 31 ans son logement de Cowansville. Depuis l’acquisition de l’immeuble par une entreprise de M. Hazout en 2021, elle dénonce le fait que les fenêtres de deux de ses chambres, dont les contours sont fortement moisis, ne soient toujours pas changées malgré ses multiples demandes.

Quand on appelle, on nous dit tout le temps que quelqu’un va nous rappeler, mais personne ne rappelle jamais […]. Ils veulent juste collecter de l’argent. Ils ne veulent rien savoir de nous autres.

Marie-Claire Hébert

Celle-ci a contesté les hausses de loyer jugées abusives du nouveau propriétaire depuis 2021.

En janvier 2022, un groupe de locataires du quartier Sainte-Marie (partie est de l’arrondissement de Ville-Marie) ont dénoncé dans le journal Métro des hausses abusives de loyer et parlaient de tentative d’éviction forcée de la part de M. Hazout. En 2021, des locataires du 2839, boulevard de la Côte-Vertu à Saint-Laurent se sont également plaints dans le journal Métro d’avoir subi des manœuvres « intimidantes, harcelantes et frauduleuses » de la part du Groupe Hazout. Certains rapportaient avoir résilié leur bail en s’y sentant obligés.

Ces affirmations avaient été réfutées par le Groupe Hazout, qui assurait dans le journal Métro que « toute entente de départ [avait] été négociée de bonne foi et de gré à gré avec les locataires concernés ».

Nous avons demandé à M. Hazout son point de vue sur l’ensemble de ces histoires. « Nous ne commenterons pas publiquement les situations particulières concernant nos locataires », nous a-t-il répondu par écrit, indiquant aussi qu’il « ne partage pas les positions rapportées dans les médias ».

Un règlement contesté… et contourné ?

Ce n’est pas la première fois qu’une grande résidence pour aînés ferme ses portes dans la métropole. En 2022, la fermeture de la résidence Mont-Carmel, en vue d’une reconversion en immeuble d’appartements locatifs traditionnels, avait poussé la grande majorité des 200 locataires à se trouver un nouveau logement. L’évènement avait fait couler beaucoup d’encre, et à partir d’octobre 2022, 13 arrondissements de la Ville de Montréal ont adopté des règlements pour empêcher de telles reconversions. Ces règlements ont toutefois été contestés en cour. Aucun jugement n’a encore été rendu dans ces dossiers.

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En 2022, la fermeture de la résidence Mont-Carmel avait poussé la grande majorité des 200 locataires à se trouver un nouveau logement.

« Quand un arrondissement a adopté ce règlement, c’est impossible pour une RPA de se convertir [en immeuble locatif]. L’arrondissement doit accorder des permis pour le changement de zonage, et il va refuser », dit Béatrice Saulnier, attachée de presse au cabinet de la mairesse Valérie Plante. Néanmoins, une dizaine de RPA ont fermé sur le territoire montréalais, en 2023 (voir autre texte).

Chaque fermeture de RPA représente tout un casse-tête pour les services de santé, qui doivent faire des pieds et des mains pour reloger les résidants, dont certains ont de grands besoins.

Une RPA qui ferme doit aviser neuf mois à l’avance le réseau de la santé et des services sociaux local, précise Joëlle Jetté, porte-parole du CISSS de la Montérégie-Centre. « Ce délai permet aux équipes du soutien à domicile de chacun des CISSS d’accompagner étroitement les aînés de leur territoire touchés par la fermeture. Ensemble, ils identifient les besoins et amorcent les démarches pour trouver un nouveau milieu de vie pouvant satisfaire la personne », dit-elle.

Mais les CISSS doivent parfois « reloger d’urgence des aînés dans des [ressources intermédiaires] ou des CHSLD, ce qui engorge le réseau », ajoute un membre de la direction d’un CIUSSS montréalais, qui nous a demandé de ne pas le nommer, car il n’est pas autorisé à parler aux médias.

Il faut dire que le manque de places est criant dans le réseau de la santé et des services sociaux : des personnes attendent plusieurs mois pour obtenir une place en CHSLD, comme le révélait La Presse l’automne dernier. Et chaque résidence privée pour aînés qui ferme ajoute à cette pression.

Lisez le texte « Plus de 600 jours d’attente »